Vie et mort des blogs

mort  

Lorsque deux des blogs que je lisais depuis leur début se sont arrêtés, leur "mort" m'avait paru exemplaire des fonctionnements du temps dans la blogosphère et j'avais eu envie de comprendre un peu mieux ce qui s'était passé. Pour l'un, c'était une mort programmée et "dans l'ordre des choses" pourrait-on dire: BRAD-PITT DEUCHFALH

Pour l'autre une mort apparemment accidentelle, celui de VERSAC. Cette mort-ci (le 8 juillet) n'étant probablement qu'apparente puisqu'un billet "retour" est apparu en date du 3 octobre et qu'ensuite ce blogueur "n'a pu résister" au plaisir d'être présent en liens avec ses amis pendant la nuit de l'élection américaine (5 novembre)..

Les conjonctions de facteurs de différentes nature et de différents niveaux qui ont abouti à l'arrêt du blog de Nicolas Vanbremeersch me paraissaient alors assez faciles à peser et à distinguer.Mais peu à peu, c'est ce qui dure à travers ce qui s'arrête qui m'est apparu comme le plus important: les nouvelles transformations des projets et des identités tels que les développements récents du Web les rendent possibles.

Et ceci d'autant plus que pendant la même période, on a vu d'autres blogs s'emparer de possibilités peu utilisées jusqu'alors, par exemple la capacité de "donner la parole" à toute une catégorie de personnes plus ou moins condamnée au devoir de réserve , comme ce fut le cas par exemple chez eolas pour le mode de place donné à l'expression des magistrats. D'autres encore ne s'arrêtent que pour changer de nom et d'apparence et utiliser des fonctionnalités plus récentes. C'est le cas de ePsychologie , qui s'en explique le 10 septembre et a comme successeur Psy et Geek ;-).Et bien sûr, chacun sait que parmi les premiers blogs, beaucoup ont été remplacés par des blogs video, ou encore que beaucoup de blogueurs se sont mis à privilégier twitter ou d'autres supports.
Durées équivalentes

La vie de Brad..est un exemple de réussite pour faire coller les durées dans une sorte d'unité de temps: trois ans de la vie d'un ado, trois ans de la vie d'un blog, trois ans de la genèse d'un livre avec toutes sortes d'apports collectifs (nombreuses traductions bénévoles..etc)
"Et au fond du trou ce qu’on peut voir c’est mes baskets qui émergent de la terre. Mes baskets que maman avait achetées à Carrefour et que je trouvais moches mais que j’ai plus quittées après ça pendant trois ans. Ce qu’on peut voir aussi, au fond de la tombe, c’est mon lance-pierre. Et à côté c’est mes cahiers, mes classeurs, mes bouquins, tous ces trucs qui m’ont amené jusqu’au dernier monstre, le bac.."
Tout ça s'est très bien "ajusté", et bravo pour l' auteur qui s'est lancé très tôt dans l'expérience du monde du blog et en a joué le jeu alors qu'au début, ce n'était guère évident.

L'excessive exigence du présent

Cette heureuse alliance entre deux supports (blog et livre) est loin de se réaliser facilement entre blog et presse-papier ou blog et audio-visuel. Lorsque versac a fermé son blog, beaucoup de blogueurs ont analysé l'épisode, ses causes liées à l'affrontement et aux rapports de forces entre différents médias dans la blogosphère politique, notamment Guerre entre journalistes et blogueurs: un mort.D'autres ont souligné ce que Nicolas Vanbremeersch disait lui-même: l'énorme travail exigé par le blog dès lors qu'il a acquis de la célébrité: travail pour produire les billets à un très grand rythme, travail de vigilance et de liens, rendu plus difficile par les vagues de trolls lorsqu'on joue le jeu des commentaires ouverts et que l'on a acquis de la notoriété.Et puis il y a l'évolution de l'auteur lui-même, qui dès le même jour postait en commentaire ailleurs:
"C’est un peu con, quand même. Des années à remplir le web de ce pseudo. Pour qu’il vous échappe. Ces derniers temps, mon effarrement aura grandi, quand je postais des commentaires sur des blogs divers, de lire des “waouh, regarde, y’a versac qui t’a répondu !”. Un Nicolas est plus sobre ?".
Il est évident que le geste le plus profond est le dégagement de l'identité propre qui, à ce moment du moins, paraissait trop parasitée par une identité numérique même glorieuse..On y retrouve le goût de l'authenticité qui est si perceptible dans les vrais blogs comme les vrais sites..

C 'est ce que cratyle met en lumière:

"Joli départ car versac, qui ne disparait que pour laisser place à Nicolas Vanbremerrsch ou à une autre identité, livre une dernière petite expérience, et qui n’est pas sans intérêt. Abandonnant son avatar Web sans abandonner le Web, il s’offre le petit bonheur numérique de disparaitre tout en y restant tout entier, et la perspective jubilatoire de se bientôt réincarner".

Le très grand intérêt de la forme "blog", c'est la palpitation du présent, palpitation mise en oeuvre par des textes, des idées, des opinions.
Mais cette liberté quotidienne peut être asphyxiée par l'épaississement des "nuages" dans une blogosphère devenue plus concurrente que proche, ou appesantie par trop de devoir de présence, ou devenir le lieu de méconnaissances insurmontables. Un changement radical s'impose alors.Ce qui est passionnant avec le Web, c'est que l'évolution des supports, la compréhension interne de leurs fonctionnements et de leurs inconvénients,vont permettre de pratiquer cette rupture, selon plusieurs formes, et offriront aussi d'autres modalités d'apparition, et ceci probablement "sans fin" (si on pense que la très rapide évolution technique du web est garantie..).
Ces trajectoires qui peuvent se maintenir et se renouveler même quand elles semblent disparaitre nous racontent (toutes proportions gardées) une version-web du phénix. Nous pouvons même faire la supposition que des formes que nous sommes incapables d'imaginer aujourd'hui pourront encore et toujours les recueillir...
Genevieve Lombard Bordeaux 6 décembre 2008