Skypanalyse, prolégomènes2:la demande

   
offre universelle

Ce qui est à l'avant-scène dans l'ensemble des problèmes que je voudrais mettre en discussion, c'est le type de raisonnement justificatif qui accompagne cette modification radicale du cadre.
L'argument est massif, frappé du sceau de la modernité et de l'ouverture. Je le prends dans l'article d'Alain Gibeault mais il existe sous cette forme ailleurs.Voir par exemple Jill Scharff et d'autres...
Après avoir rappelé que l'analyse par Skype pose un problème supplémentaire, "car elle supprime le travail analytique en personne" ( cette suppression serait juste un problème ?) les arguments en sa faveur s’appuient:
"sur l’importance de tenir compte de nouvelles techniques de communication pour permettre à des patients vivant dans des régions rurales éloignées ou dans des pays où il n’y a pas encore d’analystes, comme en Chine, d’avoir accès à l’expérience analytique".
Et encore:
"il s’agit de ne pas rejeter d’emblée ces nouvelles techniques qui peuvent contribuer au développement de la psychanalyse dans un pays comme la Chine où la croissance accélérée vers la modernité a permis de donner un accueil enthousiaste à ces nouvelles techniques de communication".

 

Si j'ai bien compris, il s'agit -grâce à l'Internet- de rendre universel l'accès possible à "l'expérience analytique", la seule condition étant qu'on se passera de la présence effective de l'analyste. Comme on se passera aussi de la présence effective de l'analysant, comment pourra-t-on saisir, ne serait-ce qu'a minima, de quoi est faite sa demande? Un engouement pour la psychanalyse (si respectable soit-il, même s'il ne devait être qu'une mode culturelle) est-il garant de quoi que ce soit d'un désir d'expérimenter l'analyse? Le désir n 'est-il pas incarné dans un corps, une langue, une histoire, une foule de particularités telles qu'il est essentiellement singulier, et comme tel très difficile à "rencontrer" ne serait-ce qu'un peu?
Cette position me parait d'autant plus contestable que pour la Chine comme pour les autres pays où la psychanalyse fait son chemin, il y a déjà des psychanalystes chinois, des chinois qui font leur analyse en Europe, des psychanalystes européens qui sont allés passé quelques années en Chine, un très grand nombre d'étudiants chinois en Europe et donc un mode de transmission possible très comparable avec ce qui se fait dans le monde depuis des années. Pourquoi la Chine serait-elle si différente? Pourquoi serait-ce à elle que l'on offrirait un ersatz de masse? une forme de leurre?
En arrière-plan à ce que j'écris là, je lis le témoignage de son "chemin" pour devenir psychanalyste de Rafah Nached , dans Topique 110(1).Ainsi habitée et portée, réfléchie dans toutes ses démarches, la psychanalyse a des chances de vraiment se développer à sa manière dans le monde du XXI°siècle.
Autant je pense que les psychanalystes devraient beaucoup plus utiliser l'Internet, pour multiplier les liens, partager les idées, communiquer,débattre des problèmes liés au développement de la psychanalyse au XXI° siècle, autant faire semblant de pouvoir analyser le singulier et le plus intime du désir d'un sujet humain, où qu'il habite, me parait une offre illusoire. Ce que je dis concerne la psychanalyse elle-même, mais est-ce que cela s' étend ipso facto aux applications qui se réclament d'elle? à toutes les psychothérapies, par exemple?
(à suivre)
1.Topique n° 110, 2010/1 La psychanalyse au Maghreb et au Machrek
Genevieve Lombard Bordeaux 11 novembre 2011