Limites?





Les "limites" de l'ontophanie numérique

Quand l'expérience de la psychanalyse rencontre les expériences liées à l'Internet un ensemble de questions arrive nécessairement, certaines auraient tendance à se poser en termes de limites. Ce que je crois, c'est que penser vraiment les limites est une expérience impossible avec cet "objet" qu'est l'Internet. Personne ne sait ce que les mondes numériques sont vraiment en ce moment, ni ce qu'ils produiront dans 3 ou 4 ans, et encore moins plus tard. Je propose plutôt d'essayer de saisir ce qui se trouve "entamé" par l'existence de l'Internet, quand il s'agit d' une pratique que l'on connait bien, ce qui se trouve "déplacé", ce qui apparait comme "impensé" ou insuffisamment pensé , et d'en tirer les conséquences.
C'est pour poser les limites du concept-clé de son livre "L'Etre et L'Ecran" que Stéphane Vial évoque la psychanalyse dans sa conclusion: "quoiqu'elle propose une phénoménologie miraculeuse de l'expérience d'exister....l'ontophanie numérique a des limites..". Et pour approcher ces "limites", il note que: "il existe des formes d'expériences existentielles..qui sont incommensurables avec l'ontophanie numérique, comme l'expérience de la tendresse maternelle, de l'intimité amoureuse, ou encore de la cure psychanalytique". Ces "points de butée" , la méthode employée (phénoménologique) dans tout le livre les rendait facilement prévisibles. Et en retour, ils éclairent le parti pris du livre (priorité à "l'apparaitre").

Pour cerner cet "incommensurable", Stéphane Vial propose d'opposer "l'ontophanie du face à face" à "l'ontophanie numérique". Citant ma page déjà ancienne ( 2007) le non-virtualisable de la psychanalyse il affirme que ce que j'appelle "présence authentique" , seule l'aura phénoménologique de l'ontophanie du face à face peut la donner. Mais une telle extension du "concept" d'ontophanie pour y placer la psychanalyse est bien inutile car on retrouve ce "geste" (ou des opérations apparentées) dans toutes les polémiques qui ont opposé et opposent phénoménologues et psychanalystes sur ce qu'est l'inconscient. En introduisant la cure psychanalytique comme "réserve", Stéphane Vial indique un point de butée à l'extension généralisée de ce qu'il propose comme "ontophanie numérique" et en cela , je suis d'accord avec lui. Mais en proposant pour cette expérience l'idée d'ontophanie du face à face (et son aura), il maintient la prédominance de "l'apparaitre". La co-présence(dissymétrique) dans la séance de psychanalyse et surtout le "travail" avec l'inconscient qui s'y produit sont ainsi bien mal "approchés" (comme c'est le cas dans la plupart des phénoménologies), et l'opposition qui a été posée comme point de départ ("incommensurable") se trouve radicalement relativisée.

Mais si cette expression est réductrice, la description de l'expérience psychanalytique comme expérience phénomenotechniquement produite l'est encore davantage. Pour S.Vial, elle est produite par le truchement de ces appareils que sont "le divan, le fauteuil et les quatre murs du cabinet":"le cabinet de l'analyste est un appareil qui fonde la possibilité de l'apparaitre de l'inconscient et de l'insight". L'apparaitre de l'inconscient ? puis-je dire que l'inconscient peut "apparaitre" tout seul ? un peu n'importe où? un rêve, un lapsus...autre chose...Disons (pour aller vite) que les conditions pour analyser les formations de l'inconscient et leurs effets ne résultent pas automatiquement du dispositif "un divan, un fauteuil et quatre murs", car ce dispositif est loin de constituer à lui seul "l'outil" de la psychanalyse. L'outil de la psychanalyse, c'est l'interprétation, rendue possible par ce qui se passe dans le "transfert-contre-transfert" (divan ou non). Disons que ce qui caractérise la "technique psychanalytique", c'est un travail conjugué d'écoute et de parole pour lequel il faut "un psychanalyste" c'est-à-dire quelqu'un qui se soit formé à la capacité d'entendre ce qui se dit quand "un psychanalysant" associe, et un psychanalysant qui associe dans le temps présent de la séance. On ne voit guère en quoi le numérique pourrait ici agir comme "révélateur" de ce qu'est l'expérience psychanalytique, si ce n'est a contrario: l'expérience du temps que l'on peut faire dans une séance de trois quarts d'heure maintes fois répétée peut permettre de mieux saisir ce que le vécu de la temporalité sur l'Internet a de superficiel et d'accéléré.

 
Genevieve Lombard Bordeaux mis à jour du 8 avril 2014