Le nombril et la grosse tête

bv Rien n'empêche de partir de la définition du Web2 que LLM a donnée dans un interview récent (16.1.2006)au Journal du Net:
..."..c'est du buzz. Un Web dans lequel les internautes peuvent tous émettre facilement du contenu, discuter et devenir des sources, à égalité avec les grands médias...  Le Web 2.0 est social, "many to many", chacun peut s'exprimer et la conversation est plus importante que l'information, je crois."
Nous sommes donc tous (potentiellement ou réellement) sources et partie prenante de la conversation, c'est le numéro un de la blogosphère fr. qui le dit .
Il y a sûrement  "de ça" dans la blogosphère, notamment dans ses temps de naissance, mais bien des fonctionnements entraînent comme inexorablement tout autre chose.A première vue, il y a un nombrilisme de blog qui ressemble un peu au narcissisme de site, à l'apparition duquel nous avions assisté dans les années 97-98. Dans ce registre des satisfactions retirées des  places, des rangs, des classements et de leurs conséquences, il y aurait une course à l'audience et aux effets en retour maxima. La satire publiée par le blog "la vie rocambolesque et insignifiante de Brad-Pitt Deuchfalh"le jour où Brad s'arrête et soi-disant dévoile ses manigances, décrit avec une dérision féroce tous les moyens possibles et imaginables pour utiliser cette  immense bulle dans l'unique but de faire parler de soi et d'y grossir le plus possible:ajouts de commentaires sur des blogs en renom,  actions vers soi sous de multiples identités différentes, l'utilisation d'ajouts et de modifications dans Wikipedia etc.(note1)
Ainsi ,dans la blogosphère, le moteur ombilical ferait place assez vite à une nouvelle recherche de notoriété, à un désir de gagner des  places dans le Système Mondial, exactement comme dans les affaires, les entreprises, en politique ou au golf. La "conversation" annoncée qui à l'origine pouvait être "parler de soi avec quelqu'un" devient" faire parler de soi", ce qui se ferait sur  fond  d'incessantes  hiérarchisations (activées par des  feed-backs en tous genres, flux RSS etc)  les plus gros devenant ainsi sans cesse plus gros?
Mais ce n'est pas si simple:-)
Le "nombril blues"
Une précieuse note d' audioblog signale ce "passage" d'un moment qui était simple source à un autre qui se met à émerger dans les journaux des entreprises et du marché
"Nombril blues:j'suisdans l'Expansion. Je vais finir par passer pour un gars sérieux.. p'tain !! la grosse tête ne va plus passer dans le nombril".
Blague à part l'Expansion publie sous le titre Le podcasting réinvente la radio à la carte le premier papier complet sur le Podcast".
Les éléments et découvertes technologiques qui ont permis le début des blogs se sont révélés d'une exceptionnelle fertilité et donc les blogueurs  les plus inventifs ou les plus audacieux ont été les premiers à les apercevoir, à les développer, à les utiliser. Ils se sont  élancés avec enthousiasme vers de plus en plus de trouvailles (dont le podcasting et ses aspects video mais pas seulement); une nouvelle blogosphère (beaucoup plus "puissante") se dégage ainsi de la première.. Alors que la "première" pouvait être considérée comme rendant possible l'expression de soi dans "la conversation générale", celle-ci fait de plus en plus de place à la compétition et à l'inter-activité des "talents" et des "entrepreneurs".Personne ne sera étonné de constater que ce sont les grands systèmes de pouvoirs  (politiques et médiatiques) qui ont très vite aperçu le genre d'étayage et d'expansion que cette blogosphère se mettait à leur offrir  (voir par exemple chez LLM le moment de "la conversation" avec Nicolas , suivi de celles avec Arnault et les autres), le marketing assisté-blog suit de peu ainsi la marque " parfum Dior" vient de  recruter douze blogueuses pour sa pub (Note 2).Et bien évidemment les deux courants peuvent se combiner et donner par exemple le blog le plus cher 180.000 euros pour orchestrer une campagne  à propos du téléchargement.
Faut-il voir dans le triomphe de quelques blogs  le résultat de stratégies à la Machiavel ou un simple effet de percolation..?
Martin Lessard dans zeroseconde donne cette indication:
"La blogosphère n'est pas un média à 2 000 000 canaux. C'est un percolateur. La percolation, via le RSS, le trackback, les liens pointeurs, permet de faire remonter le meilleur."
D'une part donc les blogueurs peuvent se faire plaisir par voie de vote et choisir consciemment les meilleurs selon eux (comme on attribue des césars, ici ce sera un pyjama de satin), et en tirer les satisfactions narcissiques bien légitimes, mais c'est par le fonctionnement quasi automatique de ces  nouvelles articulations des flux que la puissance réelle et l'expansion d'un blog se manifestera. Dans de tels univers, le savoir technologique, l'esprit d'initiative et la vitesse de réaction sont des atouts majeurs. De plus, avoir été  "en avance" dans la blogosphère et en avoir compris plus vite que d'autres les systèmes de feed backs peut se transformer directement en capacité de  " faire date" et "devenir référence" dans la vie médiatique Hors Internet. Les exploits réalisés dans la blogosphère prennent donc aussi très rapidement forme de livres, d'émissions de radio et télé..et de participation à toutes sortes de manifestations considérées comme prestigieuses. En feed-back, tout cela revient vers le blog et ainsi de suite...
Quelques sources sont ainsi devenues de véritables cataractes..:-)
Dans son billet sur le stress, Stéphane Barbery-en opposant Spinoza à Hegel et au darwinisme social- distingue très clairement  l'expansion du patrimoine  de   l'expansion liée au conatus. Donnant un écho actuel à la célèbre affirmation de la proposition VI du livre 3 de l'Ethique ( "Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être") et à tout ce qui suit, il écrit:
"Le coeur de l'homme n'est pas le chèrement acquis, le patrimoine, mais son désir d'accroître sa puissance d'agir." Dans la création continue de la blogosphère, il n'est pas trop surprenant que les deux types d'expansion et leurs combinaisons multiples soient à l'oeuvre. Si donc certains créateurs avisés utilisent la blogosphère comme une très importante source d'expansion de leur patrimoine, l'essentiel ne serait-il pas, pour nous tous, de pouvoir y développer ce qui peut nous apporter contentement et joie.?
 
Note1
Je ne suis pas certaine que ce  texte si astucieux soit encore en ligne car le lien qui y menait aboutit bien à la dernière page  du blog, mais sans que l'entrée de cette "confession" y soit visible?
Note2
Au moment où j'écris, un cran au dessus a été passé dans l'investissement financier direct de la blogosphère: blogueur, blogueuse, est en train de devenir un métier. Dans le même sens, certains grands partis viennent de nommer leur blogueur en chef..
Genevieve Lombard Bordeaux 25 fev 2006