Les blogs et la Psychanalyse

 
 Entre 2004 et 2008, mes blogs de référence (ceux qui m'ont apporté une vraie matière à réflexion sur le fonctionnement du web 2.0) ont eu des évolutions très différentes et on commence à savoir mieux ce qui fait la réelle vie d'un blog et ce qui anime ses transformations. Selon les besoins, je ferai donc quelques feed back dans la suite chronologique de ce que j'ai écrit depuis 2004, sous forme de notes.
Avec la blogosphère, il s'agit maintenant et très directement de la circulation du "quotidien instantané".
On pourrait dire des blogs qu'ils numérisent la nouveauté du quotidien (nouveauté concernant aussi bien les avancées des technologies que ce qui se passe dans la cité). Ces possibilités inédites peuvent-elles concerner les modes de circulation des concepts et les idées psychanalytiques?
Je vais chercher un commencement de réponse à cette question  en étudiant les blogs qui existent déjà.Certains utilisent à plein la forme blog telle que définie par exemple chez  PointBlog en mars 2005.
De façon très synthétique, un "blog" (ou "weblog") est un site Web personnel composé essentiellement d'actualités (ou "billets"), publiées au fil de l'eau et apparaissant selon un ordre ante-chronologique (les plus récentes en haut de page), susceptibles d'être commentées par les lecteurs et le plus souvent enrichies de liens externes ».

Les blogs mettent en oeuvre avec plus ou moins de bonheur les évolutions techniques à la pointe de l'actualité(par exemple le cloudtag, le podcast , la syndication..) et , travaillant sur cette avancée vers le web2.0, ils y  développent une pensée personnelle au fil des jours.Le lecteur a un peu la même impression que quand il lisait  les hebdomadaires de culture au beau temps du structuralisme par exemple : l'impression d'être mis en relation avec quelqu'un qui interroge les idées, très souvent avec une réelle compétence, et avec qui des dialogues pourraient s'ouvrir. Apparentée au meilleur du journalisme, la forme blog le permettrait, et bien mieux que l'ancien courrier des lecteurs.Il va de soi que  sur un tel support, ce sont les discussions de type journalistique et politique qui fonctionnent le mieux. Sur plusieurs blogs, les projets législatifs et les mouvements des "acteurs " sur la scène politique de la psychanalyse ont été et sont commentés. On voit ici jouer à plein le rôle d' "agitation" des blogs, leur coté "mobs".Nul doute que pour organiser une réunion-manif, rendre compte d'une action, faire savoir qui-a-dit-quoi dans les minutes qui suivent, les blogs sont parfaitement adaptés. Mieux qu'un site, ils peuvent refléter en direct l'agitation du présent. Ainsi les blogs ont commenté en direct telle sortie de livre  organisée par les medias pour faire du bruit, telles déclarations de philosophe à la mode...J'en ai recensé des dizaines de ce type, certains très réussis, d'autres moins.
Il y a aussi tout un ensemble de blogs qui développent à leur manière cette idée qui m'était apparue lorsque j'écrivais à propos des news, celle de l'auto-analyse continuée. Il y a les très jeunes qui sont saisis tout à coup par la nouveauté qu'est pour eux le fait d'écrire, le fait d'écrire des choses intimes, le fait de les écrire pour que d'autres les lisent. Souvent ils expriment ceci en référant leurs émotions à l'idée qu'il s'agirait de psychanalyse. Nous pouvons distinguer deux grandes variantes dans ces pratiques.
Une variante ado: nous savons à quel point le  blogging est  intense chez les ados, et qu'ils peuvent y rencontrer des difficultés inattendues liées au fait qu'ils ne distinguent pas bien les systèmes de réalité dans lesquels ils évoluent. Dialoguer avec eux en ce sens me parait une urgence pédagogique. Les écouter en essayant de percevoir comment ils investissent l'Internet avec le sentiment qu'il leur appartient, comment l'immédiateté fonctionne à plein dans les relations entre copains qui jouent ensemble et bien d'autres aspects de l'expression de soi rendus possibles par le genre blog, c'est ce que devraient faire  les psy, quand ils sont- d'une manière ou d'une autre- en relation avec ces jeunes.

Mais il existe une variante plus étendue que se met à constituer ce que j'appellerais une cyberomphalodicée.
La blogosphère est-elle le terreau d'une forme de nombrilisme que nous pourrions étudier comme un simple avatar du narcissisme ou cette forme nous indique-t-elle quelques nouvelles pistes pour penser plus avant la relation du sujet au monde cyber ? Si on s'en tient aux textes ainsi publiés, on pourrait croire qu'il s'agit de nouvelles versions des carnets ou des journaux intimes.. Je ne le crois pas car la forme blog n'est justement pas une forme qui invite au repli sur soi dans une forme momentanément "cachée" ou "retenue", mais une forme d'appel direct vers l'autre: tout blog appelle  les commentaires de ses visiteurs. Ainsi avais-je été touchée par les mots de ce blog:

Quand le labeur de vos journées et les lectures de vos nuits vous tendent un seul et même miroir qui est l'écran de votre ordinateur, il y a urgence à créer votre blog : grâce au premier internaute qui vous rend visite, le cercle cesse d'être vicieux.

Blog personnel, blog de groupe..? Encore un paradoxe (un de plus):
D'une part, les blogs actuellement les plus intéressants sont ceux qui sont soutenus par une seule personne, laquelle a de nombreux visiteurs dont plusieurs actifs (visibles)..
D'autre part, la toute petite expérience que j'ai concernant un blog se référant au " social software" ( avec l'idée de blog directement collectif etc etc..) est plutôt une expérience malheureuse. Le fonctionnement technique des blogs semble bien permettre les mises en commun rapides et facilement exploitables (nous sommes ici dans le courant de pensée de P.Lévy avec le concept d'intelligence collective) mais -et ce sont les études de Sherry Turkle qui peuvent ici nous aider- la nature technique de cet objet  ne crée-t-elle pas de facto  un excès de convergence (voire d'unification) des idées des participants à un même blog d'entreprise par exemple ce qui fait que les groupes apparaissent d'abord, « puis aspirent les personnes dedans».
Il y a déjà plusieurs études de cybersociologie sur ces aspects et ce n'est pas simple..
La blogosphère, avec ses  nouveaux aspects techniques , fait apparaître plus encore que les autres supports qui se sont développés sur l'Internet une sorte d'antinomie (disons ainsi pour le moment):
-d'une part, elle offre de nouvelles possibilités  à l'expression personnelle, permettant à chaque membre de l'espèce humaine qui a accès à un ordinateur de devenir son propre éditeur, et cela sans les limitations qu'avaient encore les sites perso.
-d'autre part, les blogs collectifs et surtout les metablogs drainent les idées et organisent le commerce, avec à l'horizon proche, la possibilité de manipuler très vite de vastes secteurs de l'opinion.. Allons-nous voir apparaître différentes espèces de bigbloggers?Comment tous ces aspects vont-ils se développer? Un meilleur dialogue des idées entre les psychanalystes et entre les psychanalystes et tout l'ensemble du monde de la culture peut-il s'installer sur des supports aussi mouvants..? 
A propos de PointBlog
La vie agitée et la mort de PointBlog le 21 novembre 2007 illustrent hélas très bien les paradoxes et contradictions que de tels supports génèrent, notamment en ce qui concerne la réalité de la liberté personnelle dès lors que l'on travaille à plusieurs et surtout le fonctionnement de l'argent et ses illusions dans la blogosphère.. Merci à ceux qui ont produit en 2003 les premiers billets sur ce qu'est un blog et donné les premiers conseils de fonctionnement. Personne n'a fait mieux depuis.
Genevieve Lombard Bordeaux, 29 août 2005( notes ajoutées le 25 avril 2007)