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Ce qui arrive à la psychanalyse.

Au mois de mai, devant la généralisation quasi obligatoire de la pratique de la psychanalyse à distance pendant le confinement, je me demandais quels mouvements psychiques, quelles formes d'élaboration allaient apparaitre dès lors qu'une pratique concernant l'inconscient allait devoir -pour continuer- se passer sur l'Internet ou par téléphone . Champ de recherche immense ouvert depuis longtemps (tous les problèmes liés au cadre et à la confidentialité de "la psychanalyse à distance") soumis à une brusque extension et dont les effets en retour sont pour le moment encore largement imprévisibles.

On commence à savoir ce qui s'est passé pendant le confinement stricto sensu et un article du Monde a résumé assez bien les choix qui ont été faits: la majorité des pychanalystes a utilisé le téléphone (uniquement la voix) une petite partie Skype et les logiciels apparentés (image et voix). Je sais aussi que plusieurs psychanalystes ont pour ainsi dire "protégé" des analyses débutantes en arrêtant momentanément les séances avec l'accord de leurs patients et les ont reprises "en présence" dès après le confinement. Rares sont ceux qui ont continué comme si de rien n'était, Dejours par exemple, cité par le Monde.Et voilà ce qu'il dit de ce qui s'est passé massivement: « Le téléphone, on ne peut pas dire que ce n’est pas de la psychanalyse, parce que le transfert se déploie dans l’écoute. Simplement, c’est une profonde dégradation de notre métier, et je suis indigné que les psychanalystes, même ceux qui y étaient farouchement opposés, l’acceptent désormais sans rechigner. Si c’est ça, l’évolution de la psychanalyse, quelle déception… ».

Cette "évolution de la psychanalyse", cette possible "dégradation" va dépendre en grande partie de la durée de cette crise. Prendre des dispositions transitoires pour éviter un danger précis est une chose, s'installer pour des mois et des mois dans cette situation fait apparaitre bien d'autres questions. En attendant une vaccination suffisamment généralisée (que l'on n'entrevoit guère avant l'été prochain) nous voila installés dans le temps des précautions. C'est là que surgissent des problèmes que l'on n'attendait pas, par exemple un risque de renversement de la dissymétrie dans la séance de psychanalyse.

Une séparation des humains en deux catégories (directement liée à la réalité du risque mortel de ce virus) a été posée et ressassée par les instances gouvernementales et sanitaires : au dessus de 65 ans on est fragile(1). Une bonne quantité de psychanalystes se trouvent donc dans la catégorie "fragile" alors que la plupart de leurs psychanalysants ne le sont pas. Si c'est le psychanalysant qui doit prendre soin de l'analyste dans le système des précautions, veiller d'une certaine manière sur lui, que se passe-t-il?

 

Certains de nous le savent un peu, ceux qui -par exemple- ont accepté en analyse des psychanalysants dont le psychanalyste est mort prématurément en ayant été longtemps malade et après avoir maintenu sa pratique analytique malgré tout (en général trop longtemps). Ces analyses ont été très difficiles et pour certaines "impossibles". La confusion des places ayant été trop grande et trop floue, toutes les places- notamment généalogiques- s'en sont trouvées brouillées, d'une manière ou d'une autre: la régression n'a pas été laissée à son rythme interne et "l'enfant dans l'adulte" n'a pas pu vraiment se "retrouver".

Ce n'est que l'un des nombreux problèmes cliniques nouveaux qui demandent à être pensés, quand la vie sociale se trouve si profondément remuée...
note1 J'emprunte ce tableau à Wikipedia Pandémie de Covid-19 en France — Wikipédia (wikipedia.org) J'y ai ajouté une ligne rouge pour illustrer mon propos
 
Genevieve Lombard Bordeaux le 10 décembre 2020