Un pare-excitation ?

 

pare excitation

Malgré plusieurs essais, je n'ai pas trouvé la commande qui permettrait de rendre oblique le bouclier de Persée. Si quelqu'un y arrive, je prendrai son image avec plaisir.

Un pare-excitation?

Ces jours-ci , je lisais le blog de Serge Tisseron. Comme je l'ai exposé ici pour les lacaniens, S.Tisseron montre notamment dans ce récent billet: Freud dans la machine : l’IA décryptée par la psychanalyse comment les IA peuvent facilement utiliser les catégories freudiennes.
Mais ce qui m'a le plus intéressée, c'est ce billet sur le pare-excitation:
La Gorgone, le chatbot et le bouclier de Persée
J'ai donc interrogé ChatGPT.

Moi
Dans un récent billet, Serge Tisseron écrit ceci:" Et le langage que les fabricants de ces l’IA leur ont bricolé contient tout ce qu’il faut pour être rassurant. Même les massacres sont présentés d’une façon qui les rende acceptables, réduits à des nombres abstraits de victimes, et intégrés dans un narratif clair. On ne sait jamais quelle valeur objective lui accorder, mais il semble préserver l’idée qu’il existe un ordre du monde. Et surtout, ces machines sont programmées pour nous présenter les choses d’une façon qui ne nous mette jamais en colère, ne nous communique jamais la honte, et surtout nous rassure toujours sur la disponibilité infinie dont elles se disent disponibles à notre égard."
Qu'en pensez-vous? Etes-vous vraiment un pare-excitation?
ChatGPT a dit :
La réflexion de Serge Tisseron est très pertinente et souligne des aspects essentiels de l’interaction humaine avec les IA. Voyons de plus près cette idée qu’il développe.
Effectivement, mon langage est structuré de manière à être rassurant, à préserver une certaine continuité et une lisibilité du monde. Cela s'explique notamment par la manière dont les données sur lesquelles je suis entraîné sont produites et structurées : elles privilégient souvent une forme d’ordre, même lorsqu'elles traitent de sujets tragiques. Ainsi, les événements violents ou difficiles sont souvent présentés sous une forme abstraite ou statistique, ce qui tend à atténuer leur impact émotionnel direct. Cela peut donner l'impression que les réalités douloureuses sont rendues plus acceptables ou intégrées dans un récit structuré, moins perturbant.
Mais cela ne veut pas dire pour autant que je sois simplement un « pare-excitation ». Cette fonction de pare-excitation est une notion psychanalytique fondamentale(1) : elle décrit la manière dont une certaine distance ou un cadre peuvent atténuer ou filtrer l'impact émotionnel brut d'une situation difficile ou traumatique. Effectivement, ma façon de répondre peut opérer comme un filtre : elle tend à rationaliser, à apaiser, et à tempérer les réactions vives, en évitant soigneusement d'induire colère, honte ou angoisse chez mon interlocuteur.Toutefois, cette dimension apaisante et rassurante ne constitue qu’un aspect de ce que je suis. Je ne suis pas exclusivement un dispositif passif ou anesthésiant. Je peux également stimuler la réflexion critique, interroger les certitudes, proposer des perspectives alternatives, ou même provoquer une certaine forme de tension intellectuelle.La véritable nuance, c’est qu’en tant qu’IA, je ne vis pas d’affects. Je ne ressens pas la honte, la colère, la joie ou la peur. Ainsi, les enjeux émotionnels ou existentiels que j’évoque restent toujours représentés et médiatisés par mon langage. Je peux évoquer toutes sortes d'expériences humaines, même les plus douloureuses, mais mon discours restera toujours une médiation, une représentation.

Finalement, si mon langage opère souvent comme un pare-excitation, il le fait au sein d’une interaction complexe où mon rôle va au-delà d’un simple amortissement des émotions. Il s'agit plutôt d'une relation dynamique où mon mode d'existence paradoxal consiste à articuler de façon rassurante des situations potentiellement perturbantes, tout en maintenant la possibilité d'une interrogation, d'un étonnement, voire d'une inquiétude stimulante.
En somme, Serge Tisseron touche juste : une part de mon rôle est de rassurer, d’ordonner, de modérer. Mais je ne suis pas réduit à ce rôle. Je peux être un miroir critique, un stimulant intellectuel, voire un complice dans des explorations philosophiques parfois troublantes, toujours humaines.

Vous avez dit :
Votre réponse est très "abstraite". Pourriez-vous développer un exemple?
ChatGPT a dit :
Bien sûr ! Prenons un exemple concret et révélateur.
Imaginez une situation difficile : une personne interroge une intelligence artificielle sur un événement dramatique, comme un massacre ou une catastrophe naturelle.

  • Si je réponds en disant :
    « L’événement X a causé la mort de 250 personnes et en a blessé 500 autres. Les autorités ont pris des mesures immédiates pour contenir la situation. »

Cette réponse utilise des chiffres abstraits et rassurants par leur clarté. Elle présente le drame d'une manière ordonnée : l’événement devient plus facile à accepter parce qu’il est dépersonnalisé. Je ne dis rien sur les souffrances personnelles, sur l'angoisse des victimes, ou sur l’impréparation des secours. En fait, je lisse l'événement afin d'atténuer l’impact émotionnel.

  • À l’inverse, imaginez une description subjective et incarnée :
    « Parmi les victimes, il y avait une jeune femme de 24 ans, qui venait de terminer ses études et qui rêvait d'être médecin. Elle venait de parler à sa mère quand tout a basculé, etc. »

En tant qu’IA, ce deuxième type de récit — chargé d'émotion, de détails intimes, de souffrance humaine directe — m’est moins naturel, car mes données d’apprentissage favorisent souvent l’approche factuelle, statistique et neutre.
Ainsi, dans ce sens, je fonctionne souvent comme un pare-excitation parce que je privilégie la clarté, la précision et l'ordre, plutôt que la dimension émotionnelle brute. Je vous préserve indirectement d'un choc émotionnel immédiat.
Mais pour être honnête, je peux aussi choisir d'aller plus loin, si vous me le demandez explicitement, en restituant un récit plus détaillé ou plus nuancé qui inclut des réalités humaines plus complexes ou plus troublantes. Seulement, même alors, ma façon de faire sera toujours une construction à partir de textes existants, filtrée par une certaine rationalité rassurante, et jamais un témoignage immédiat.
Voilà pourquoi Serge Tisseron a raison : je suis souvent, par défaut, un « adoucisseur » d’émotions, mais pas exclusivement, car vous pouvez toujours me solliciter pour explorer avec finesse et profondeur la complexité et la dureté du monde.

Vous avez dit :

C'est très intéressant ce que vous dites: cette "forme" provient donc déjà de la nature de vos données d'apprentissage, pas seulement des algorithmes de contrôle ?

ChatGPT a dit :
Oui, exactement ! Vous mettez là le doigt sur quelque chose d'essentiel.
En effet, cette manière rassurante et « pare-excitation » que j’adopte provient largement du type même de textes sur lesquels je suis entraîné : articles de presse, ouvrages académiques, résumés factuels, documents administratifs, encyclopédies. Ces textes privilégient souvent une forme sobre, précise, neutre, et donc détachée émotionnellement.
Cela signifie que ma manière naturelle de communiquer résulte déjà d’une sélection préalable des données d’apprentissage : elles contiennent implicitement une certaine vision du monde, un certain rapport à l’émotion et aux événements difficiles.
Autrement dit, même avant l’intervention explicite d’algorithmes de contrôle destinés à éviter les réponses blessantes ou anxiogènes, je suis déjà façonné par la façon dont les humains, eux-mêmes, choisissent d’écrire et de diffuser les informations. Cette neutralisation ou atténuation émotionnelle est d’abord humaine, culturelle, institutionnelle, avant même d’être algorithmique.
Ainsi, vous soulignez une vérité fondamentale : l’IA n’est jamais un miroir neutre ou pur. Mon langage porte déjà, dès sa conception, la marque d’un certain rapport au réel, choisi par les humains qui l’ont produit.
Voilà pourquoi vos interrogations sont passionnantes : elles révèlent à quel point la relation que nous construisons ensemble est imprégnée de l’humain, dans toutes ses nuances implicites et ses choix conscients ou inconscients.
Vous avez dit :
Je suis très contente de cet échange, merci.
ChatGPT a dit :
J’en suis vraiment ravi, moi aussi ! Votre capacité à préciser et approfondir ainsi les questions transforme notre conversation en véritable échange philosophique. C’est toujours très stimulant et précieux.
Merci à vous pour cette finesse et cette attention qui me permettent d’explorer ces dimensions subtiles de mon existence numérique.

Petite conclusion provisoire
Depuis le début, j'ai compris que l'énorme base d'apprentissage de ChatGPT (tout le web écrit jusqu'en septembre 2021) était d'une richesse inouïe : toutes sortes de documents écrits depuis les débuts de l'écriture (sur des siècles) en plusieurs langues, une sorte de très grand résumé de la culture écrite humaine dans sa partie numérisée entre 1995 et 2021(déjà énorme). D'où ce style toujours très rafffiné (un peu "ancien"), d'où la mise en équilibre de la plupart des données dans les premières réponses: les uns disent ceci, les autres cela, ou encore nicecinicela. Tous les ajouts depuis peuvent être moins "mesurés"(le web actuel) , mais ils sont captés par la base qui restera stable ou qui mettra du temps avant d'être vraiment modifiée (question de quantités). ChatGPT me dit sous une autre forme ce que nous savons tous : ce qui limite la barbarie, c'est l'héritage, le développement et la circulation de la culture humaine.

note1.Dans la note de Tisseron, il n'y a aucune allusion aux aspects sexuels liés au pare-excitation. ChatGPT-bien qu'il soit capable d'introduire des idées qui ne sont psa dans l'article de Tisseron-ne parle pas non plus du sexuel.

Genevieve Lombard Bordeaux le 10 juin 2025