De divers usages du mèl M-P.Jachimowicz
J’utilise fréquemment le mèl
depuis environ trois ans, tant dans le cadre professionnel que familial ou
amical.Professionnellement, cet outil
est maintenant quasiment indispensable à de plus en plus de personnes de mon
environnement pour travailler en équipe ; il permet des relectures,
corrections, compléments, etc., qui font gagner beaucoup de temps en préparant
au mieux les réunions qui restent nécessaires. Pas d’angélisme néanmoins,
Jocelyne Troccaz a fort bien souligné les difficultés relationnelles liées à ce
media (cf. mail et fantasme) et le style de correspondance propre à ce suppport
(on va droit au but, on ne prend que très peu de formes) génère assez
fréquemment des tensions palpables. Le mèl est également très commode pour
demander une documentation ou remercier un auteur de site internet. Dans ce
cas-là, pas vraiment d’engagement personnel, mais plutôt une correspondance
moins formelle qu’avec le courrier postal, un gain de temps certain, et aussi
une pratique relationnelle facilitée par la machine - pas de papier à lettre ni
d’enveloppe ni de timbre encore, c’est tout simple d’écrire rapidement quelques
mots.
L’usage familial ou amical en est bien
différent et deux emplois assez distincts se détachent principalement. Le
premier, qui permet l’envoi de tout petits messages du type « coucou, on se
voit quand, bises » ne remplace ni une lettre ni un coup de téléphone mais
crée un autre type de communication dont on verra comment il évolue. Le second
permet de donner des nouvelles qui arriveront très vite, peut-être accompagnées
de liens en hypertexte ou de documents liés. Tous les parents ou amis de
globe-trotter sont heureux de recevoir quasiment en temps réel des nouvelles
d’un voyageur à l’autre bout du monde. C’est aussi un moyen incomparable pour
rapprocher des éléments de la famille éparpillée sur plusieurs continents et
maintenir des liens qui sont si fragiles. Cette nouvelle technique de
communication n’exclut en aucun cas l’usage du courrier postal, qui reste pour
la plupart le seul moyen d’écrire « des choses importantes »,
manuscrites, porteuses de valeurs affectives, de larmes et de ratures, ou de
textes longuement réfléchis mais dans lesquels toujours l’implication
personnelle est grande.Il en est parfois tout autrement. On ne peut qu’être
frappé par les mésaventures qui arrivent de temps en temps lors d’échanges
entre correspondants réguliers ou non, familiers ou exclusivement internautes.
Tantôt, c’est un fichier lié annoncé dans le texte du mèl qui n’est pas joint,
tantôt un texte joint insuffisamment travaillé ou à l’état d’ébauche expédié
indûment, une autre fois encore une lecture trop rapide d’une page écran fait
confondre la source des informations affichées et provoque une sorte de panique
– pourquoi mon téléphone apparaît-il sur l’écran , dans cette page web ?
Dans les trois cas, la dimension du temps joue des tours : la rapidité
extrême du clic quand on envoie un message, l’impulsion de l’index sur la
souris empêche la maturation, interdit le repentir, anticipe l’action
volontaire ; la lecture de la page web sur laquelle se superpose mon mèl
rend la prise d’informations un peu complexe, et sans le temps nécessaire
encore, entre deux tâches très serrées dans un moment de stress, conjugué avec
les affects qui troublent la compréhension, la confusion arrive. Quiconque a
l’habitude de frapper sur le clavier si souple de l’ordinateur sait qu’on ne
commande pas vraiment les actions des doigts sur le clavier. Tout va très vite
et on est parfois étonné de constater une sorte d’autonomie de nos doigts. J’ai
l’impression que tout ça est assimilable à des lapsus, pas des lapsus écrits
mais informatiques, générés sur le clavier et la souris, que la rapidité des
commandes autorise.
Ces quelques réflexions m’ont
fait me souvenir de l’exposé des arguments de G. L. ( cf. arguments et
biblioliens) « …Peut-on craindre de cette instantanéité
qu'elle mette à mal à tout jamais les magies lentes, les élaborations
patientes..? Comment les sujets que nous sommes se débrouillent-ils avec ces
accélérations du temps et le fonctionnement du temps psychique..? Les
psychanalystes internautes pourraient-ils dire quelque chose de ces nouvelles
expériences..? »