Une autre façon d'aborder les mêmes problèmes

   
alerte

Quel plaisir de rencontrer enfin un texte avec lequel je me sens en accord :il s'agit de la Conférence que John Churcher, Psychanalyste de la  British Psychoanalytical Society, a donnée en mars 2015 à Stockholm pour l'EPF:
Privacy, Telecommunications and the Psychoanalytic Setting .

Considérant comme acquis que pour tout psychanalyste la confidentialité est une condition nécessaire de son travail, J.Churcher note que toute modification du cadre doit la préserver s'il s'agit vraiment d'un processus psychanalytique. Puis, s'appuyant sur le fonctionnement du cadre tel que le décrivait J.Bleger (1), il se demande ce qui se passe dans une analyse conduite à distance. Pour Bleger, une des fonctions du cadre, c'est que l'on peut y déposer la partie psychotique inconsciente, résidu de la symbiose primaire avec la mère. Cette partie primitive de la vie psychique établit une relation silencieuse et cachée avec la permanence du cadre, qui est utilisée comme contenant. Que devient donc ce dépôt silencieux dans un dispositif de psychanalyse à distance ?:" In a psychoanalysis that is being conducted remotly by means of telecommunications, such as telephone or Skype, we therefore need to be curious about what may be being deposited silently in the telecommunication system itself".

Après avoir noté qu'à coté des éléments classiques du cadre depuis Freud ((la règle fondamentale, la durée de la séance, l'usage du divan..) il y a des éléments implicites, faciles à prendre en compte par le simple bon sens, comme par exemple l'acoustique suffisamment protectrice de la pièce pour les paroles qui s'y échangent, J.Churcher note que nous sommes maintenant en présence d'une possibilité de violation de la vie privée par les écoutes illégales :" Privacy can be breached in many different way, but for the purpose of the present discussion the most relevance instance is eaves dropping". Pour lui, "dès que nous introduisons les moyens de télécommunications modernes...notre connaissance de l'acoustique des bâtiments ne suffit plus.Il faut que nous y ajoutions la connaissance et les croyances de ceux qui les utilisent à propos de la technologie elle-même".

Comme je l'ai fait (et quelques autres aussi) J.Churcher pose la frontière en 2013: le moment des révélations de E.Snowden rendues publiques par l'article du Guardian, et il prend la mesure des conséquences liées aux écoutes "industrielles, indiscriminées, utilisables a posteriori". Il insiste sur notre radicale impuissance à avoir une connaissance sûre de ce qui se passe: "Qui sait vraiment, et comment savons-nous ce que nous savons? La question est analogue à celle que Hanna Segal, citant Juvenal, a posée à propos des armes nucléaires: quis custodiet ipsos custodies? On the wild frontiers of the Internet, who certifies the certifiers?"
Il critique des positions notamment les plus récentes, du CAPA China American Psychoanalytic Alliance (voir aussi ici mes alertes à ce sujet)
Puis il analyse les raisons pour lesquelles les psychanalystes eux-mêmes manifestent un tel aveuglement quant à la réalité de la situation:. "Turning a blind eye to the risks" /s'aveugler face aux risques.Il développe alors conjointement les concepts de déni/trauma, d'une manière différente de ce que j'ai essayé de faire dans mes papiers précédents. Je rendrai compte de l'articulation qu'il propose dans mon prochain papier. Mais sa démonstration mène à une conclusion bien proche de celle que je défends. Dans le cas où les dommages causés à la pratique psychanalytique du fait de vivre sous surveillance ne pourraient être limités ou dépassés, alors "la seule alternative serait de ne pas utiliser les moyens de télécommunication dans notre travail clinique, malgré la tentation et la pression économique et de maintenir l'idée que, pour la psychanalyse, la présence physique est indispensable".
1.J.Bleger:" Symbiose et Ambiguïté" 1967, traduction française PUF 1981
Genevieve Lombard Bordeaux 25 avril 2016