S.Vial :L'Etre et l'Ecran



 

Commencer par la fin, par cette conclusion au titre un peu étrange :" De l'aura radicale des choses".
Selon Stéphane Vial, ce que je dis de la pratique de la psychanalyse et de son impossibilité par écrans interposés releverait de ce qu'il nomme " l'ontophanie du face à face". Il affirme que cette "présence authentique" dont je parle, "seule l'aura phénoménologique irremplaçable de l'ontophanie du face à face peut la donner.

Je suis très étonnée de voir par quels moyens conceptuels est posée la différence entre les expériences qui ne peuvent pas déployer l'essentiel de leur mode d'existence sur les écrans, par exemple pour S.Vial "l'expérience de la tendresse maternelle, de l'intimité amoureuse ou encore de la cure psychanalytique" et les autres. Et puisque dans cette conclusion, appel est fait une fois de plus au mouvement de pensée de Walter Benjamin, qui lui aussi, dans les années 30-40 (et il n'est pas le seul) s'efforçait de saisir le genre de perte et de changements que les nouveaux moyens techniques produisent quand on passe de la peinture à la photographie ou du théâtre au cinéma,je commencerai par cette occurence du "concept' d'aura en relation avec la technique, telle qu'elle se produit avec W.Benjamin.

Je partirai de la définition de "l'aura" que WB donne en 1935 dans Petite histoire de la photographie :"une trame singulière d'espace et de temps: unique apparition d'un lointain, si proche soit-il", définition reprise dans L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique version 1938.Cette trame singulière est un "ici-et-maintenant", mais contrairement au glissement de l'instant, ce "maintenant" contient (en présentant "l'authentique" s'il s'agit par exemple d'une oeuvre d'art) son originalité dans l'histoire, et donc la dimension du passé et d'une forme particulière de sa transmission.Que l'on insiste sur l'éprouvé de l'unique et de l'authentique, l'aura connote une expérience particulièrement intense de la présence, elle rend sensible la vibration de "l'inimitable" dans la perception même. Un passé vivant qui se "présente" dans un ici-et-maintenant se mettant à vivre lui aussi, à vibrer dans le monde d'une manière singulière entre "deux" subjectivités. C'est sur le cas de l'oeuvre peinte que W.Benjamin analyse cette existence de l'aura. On sait qu'il possédait l' Angelus Novus de Klee (1920), cet "Ange" qui a tendance à réapparaitre aujourd'hui en plusieurs endroits(1). Un des aspects qui définit l'aura, pour Benjamin, c'est qu'elle concerne des êtres, des êtres de culture, des expériences, particulièrement "rares" (exceptionnels) et qu'elle peut être perdue.(voir tout son travail sur le "sacré" et il suffit de penser aux magnifiques auréoles des vierges à l'enfant, des anges et archanges etc).

L'idée que S.Vial introduit, c'est celle d' "aura phénoménologique". Elle diffère beaucoup du concept de Benjamin (elle en est presque l'opposé) et elle a une fonction particulière:elle établit un continuum en mesurant l'aura en degré d'intensité, ce qui permet de l'attribuer, comme le titre de la conclusion l'indique, à "toutes les choses".

Pour la définir, Stéphane Vial conserve de Benjamin la notion d"unicité de l'apparition" mais il y ajoute "la notion de degré" :
"L'aura phénoménologique d'une chose -objet ou sujet-c'est son degré d'intensité perceptive, de vitalité phénoménale, d'acuité ontophanique, de puissance d'apparaitre". Ou encore :"Il faut distinguer le degré d'existence d'une chose- en tant que quantum d'être- de son degré d'aura phénoménologique- en tant que quantum de perception."

Si on admet ces définitions, se pose alors la question de la prise en charge des mouvements particuliers du temps qui sont essentiels dans la conception de l'aura telle que présentée par Benjamin: Il me semble que les "mélanges" des différents régimes du temps, si on les pense en termes d'aura ne peuvent pas exister en terme d'une échelle de degrés. Le temps que "l'aura à la Benjamin" rend sensible conjugue origine, passé et fantasme.Les modalités du temps principalement vécues sur les écrans sont bien différentes. Ce qui domine (et va en s'accélérant), c'est le glissement incessant de l'instant et l'expérience de la vitesse.Je pense donc que cette notion d'aura ne convient guère aux productions (objets et sujets) de la révolution numérique et que, à la limite, elle pourrait avoir là une fonction de leurre.

Nous le savions sans le savoir vraiment: ce qui se passe avec la perception est bien loin d'être l'essentiel de l'Internet.Nous sommes maintenant obligés de savoir ( sauf à nous installer dans le déni) que ce qui décide, c'est le niveau des structures matérielles , la nature et la puissance des algorithmes, la capacité financière des "propriétaires" (leurs rapports de force dans le marché) et leurs relations avec les pouvoirs d'état. Les évolutions néfastes qui en résultent et que nous expérimentons aujourd'hui ne sont pas directement perceptibles au moment où elles se produisent, cela m'incite à faire attention (autant que faire se peut) à ce qui pourrait fonctionner comme illusion. C'est le cas à mes yeux pour les points de vue trop synthétiques, appliqués à une réalité plurielle (en grande partie irreprésentable) qui se transforme à grande vitesse.
Il me reste maintenant à voir comment fonctionne la prise en compte de la psychanalyse dans cette conclusion.
1.par exemple chez P.Quéau metaxu
Genevieve Lombard Bordeaux mis à jour du 18 fevrier2014